La vie en société de l’araignée cannibale

La vie en société de l’araignée cannibale

Chez l’Agélène à labyrinthe (Agelena labyrinthica), la vie en société est une affaire de jeunesse. Durant leurs premiers jours, ces jeunes araignées vivent en groupe autour de leur cocon, cohabitant paisiblement avec leurs frères et sœurs. Mais cette phase de tolérance ne dure qu’un temps. En grandissant, elles se dispersent… et deviennent agressives. Ce changement comportemental fascine les chercheurs, qui s’interrogent : qu’est-ce qui déclenche cette bascule entre sociabilité et cannibalisme ?

« La durée de la tolérance dépend de la durée de la phase grégaire », explique le chercheur Raphaël Jeanson, directeur adjoint du Centre de Recherches sur la Cognition Animale (CRCA) à l’Université de Toulouse.

En milieu naturel, les araignées juvéniles restent groupées seulement quelques jours. Ce n’est pas l’agressivité qui pousse à la dispersion, mais bien la dispersion qui déclenche l’agressivité. Des expériences menées en laboratoire l’ont confirmé : lorsqu’on empêche la séparation en maintenant les araignées dans un espace clos, la tolérance se prolonge pendant plusieurs semaines. La simple présence de congénères suffit donc à maintenir la paix.

Quand l’isolement change les règles du jeu

Ce changement d’attitude pourrait être lié à la manière dont les araignées perçoivent les signaux sociaux. Pour Jeanson, l’isolement social modifie leur sensibilité aux signaux de communication, bien qu’elles continuent d’en émettre. En d’autres termes, les araignées solitaires ne reconnaîtraient plus les « codes sociaux » de leurs semblables.

« Notre conviction est que l’isolement social induit un changement dans les processus de communication entre les araignées », avance le chercheur.

Et la faim dans tout ça ?

Un autre facteur que les scientifiques ont étudié est l’état nutritionnel. En effet, chez de nombreuses espèces animales, la faim augmente la tendance au cannibalisme. Mais chez l’Agélène à labyrinthe, ce n’est pas si simple. Même après une perte importante de réserves lipidiques, les araignées élevées en groupe préfèrent mourir de faim plutôt que de s’attaquer à leurs proches. La tolérance semble donc plus forte que la faim, du moins tant que les congénères sont vivants.

Car une nuance importante subsiste : les jeunes araignées ne sont tolérantes qu’avec les vivants. Dès qu’un corps inerte de frère ou sœur est introduit dans leur environnement, elles n’hésitent pas à le dévorer en quelques heures. Ce comportement cannibale suggère que les vivants émettent des signaux protecteurs, absents chez les morts. Et là encore, les chercheurs s’interrogent sur la nature de ces signaux.

Des signaux chimiques, vibratoires… ou les deux ?

Les hypothèses actuelles penchent pour une communication chimique, peut-être couplée à des signaux vibratoires. Des recherches sont en cours, en collaboration avec des chimistes, pour identifier les molécules responsables de cette inhibition du cannibalisme.

« Nous privilégions actuellement la piste chimique », confie Raphaël Jeanson.

Une chose est sûre : même chez les araignées, la vie en société est une affaire d’équilibre fragile, où la tolérance peut vite laisser place à l’hostilité — surtout quand l’isolement et la mort viennent bouleverser les signaux de la vie en communauté.

12/04/2025 10 h 28 min

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